Ce n’était pas une nuit ordinaire. Je venais de la surprendre, Cette poison qui volait des preuves…
Élira. Silencieuse comme l’ombre d’un regret. Je l’avais trouvée dans l’aile arrière de l’atelier, là où personne ne va sauf moi, et les souvenirs. Elle effleurait les souliers de Mira.
Je m’apprêtais à parler. À lui dire qu’elle n’avait pas le droit. À l’effrayer, peut-être.
Mais alors…
La fenêtre s’est ouverte. Et Amanda est entrée.
Pieds nus. Robe en lambeaux. Un œil qui pleure et l’autre qui rit.
Et cette voix… Dieu que ça parlait. Trop. Trop vite. Trop fort.
« Tu vois ce que tu fais ? Tu vois ce que tu fais avec leurs pieds ? Ils crient, Arthur, ils crient ! Même les semelles ont des nerfs ! »
« Elle, là — elle n’a pas choisi d’être belle ! Tu crois que tu l’as inventée ? Tu crois que les cornes poussent pour toi ?! »
« On va tout laver, tout laver, tout laver… »
J’ai voulu l’arrêter. Juste lui dire de sortir.
Mais elle s’est mise à courir. Vers moi. Elle riait, et elle pleurait en hurlant.
J’ai levé la main.
Et elle… m’a brisé.
Il n’y a pas d’autre mot.
Ma nuque a craqué. Mon souffle est tombé. Tout est devenu noir, puis gris, puis tiède.
Et je me suis relevé. Non pas vivant, mais vidé. Avec ce trou, ce canal noir, juste sous l’oreille.
Mes parasites ont commencé à respirer par là.
Depuis… je ne sais plus si Amanda était réelle.
Peut-être une mère. Peut-être un fantôme. Peut-être Élira, en plus vieille, en plus folle, en libérée.
Ce que je sais, c’est qu’elle ne l’a pas touchée.
Elle m’a brisé, moi.
Et elle l’a laissée. Élira. Intacte. Comme un secret qu’on protège.
Je rêve d’Amanda.
« Tu vas encore les lacer, hein ? Encore un tour, encore une boucle. On n’échappe pas aux lacets, Arthurs. Sauf si on coupe les pieds. »
…Mais je pense à Élira.
Elle n’a pas crié.
Elle n’a même pas cligné des yeux.
Elle savait.
Et maintenant je la sens.
Elle est là, toujours là, entre les semelles et les ombres.
Je l’aime. Je la hais. Je la veux.