Clinicienne responsable : Gloria Álvarez
Date : [Confidentiel]
Établissement : Institut de Moltenrivers – aile Est, salle d’observation B4

Observation générale :
Le sujet est une adolescente fine et droite, posture impeccable, regard soutenu mais émotionnellement lisse. Sa diction est claire, parfois élégante, presque théâtrale. Elle ne semble pas chercher à dissimuler ce qu’elle est, mais plutôt à redéfinir constamment le cadre de ce qu’on lui demande. Aucun signe de panique ni de nervosité corporelle, sauf un éclat de rire déplacé à la troisième question.

Elle semble contrôler le récit plutôt que le subir, et il est probable qu’elle ait déjà anticipé l’essentiel des questions avant de s’asseoir. L’ensemble du discours dénote une maîtrise défensive des affects, où le langage sert de filtre narratif.


Profil psychique provisoire :
Mira présente des signes de dissociation émotionnelle avancée, mais sans rupture logique : ses réponses suivent une trame maîtrisée, rationnelle, parfois trop rationnelle. Le déni direct des faits violents (cf. ingestion du demi-frère) est immédiatement suivi de formulations neutres ou positives liées à la cuisine, ce qui suggère un cloisonnement psychique actif, probablement construit très tôt.

Il faut noter l’emploi du pronom “nous” dans la réponse à la question 5 (« aucune créature ne nous a félicité »). Ce glissement grammatical témoigne d’une conscience fractionnée, possiblement bipartite, avec une cohabitation partielle ou totale d’une autre instance psychique. La négation du prénom du frère, ajoutée à une réaction physiologique modérée à l’odeur du rôti, renforce l’idée d’un événement cannibale réprimé mais non effacé.

La question 9, volontairement floue, visait à provoquer une réponse symbolique : Mira contourne cette attente en répondant par l’usage pratique de ses mains (le piano), ce qui est typique d’un mécanisme de défense par la compétence. Cela peut évoquer une stratégie de reconquête de maîtrise après un traumatisme corporel.


Analyse par item :

  • Q1–Q3 : Négation floue, déni verbal accompagné d’un rire nerveux → refoulement actif ou événement disloqué de la mémoire.
  • Q4–Q6 : Recentrage immédiat sur la cuisine comme expression artistique → sublimation du geste violent par l’esthétique. L’idée d’être regardée pendant l’acte culinaire semble centrale.
  • Q7–Q8 : Aucune image du frère n’est revendiquée, mais une réaction physiologique demeure face à l’odeur de la viande : preuve d’un résidu mnésique non conscientisé.
  • Q9–Q10 : Le rapport au corps est instrumentalisé mais pas dissocié. La main n’est pas perçue comme étrangère, mais comme outil de contrôle social (musique). L’absence d’intérêt pour le couteau est notable : soit réelle pacification, soit déplacement du danger vers d’autres outils ou gestes.

Diagnostic préliminaire (non communiqué au patient) :

  • Trouble de stress post-traumatique dissociatif avec amnésie partielle
  • Comportement obsessionnel ritualisé autour de la cuisine (sublimation et contrôle)
  • Présence possible d’une personnalité secondaire cohabitante (forme atténuée de TDI)

Note finale de Gloria Álvarez :

« Mira ne ment pas. Elle reformule le monde. Elle n’a pas tué un frère : elle a transformé une mémoire indicible en un plat élégant. Là où Ephraim cherche un royaume souterrain, Mira construit un théâtre au-dessus du vide. Elle ne mange pas la chair : elle mange l’idée. Et surtout, elle veille à ce que ce soit bien présenté. »

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *