La Comète du Gardien Brisé

Extrait du chapitre VII du livre des morts – La Comète du Gardien Brisé

Il y a très, très longtemps, avant même que les premières tours blanches de l’université de Easthallow ne touchent les cieux, avant que les noms des rois soient chantés dans la pierre ou que la Mort elle-même ait appris à chuchoter, il existait un être si vaste que ses pas creusaient les mers : le Titan Gardien.

Ce Titan, protecteur du monde connu, s’était endormi lorsque son devoir fut accompli — non pas dans une caverne ni dans les entrailles d’un monde, mais au cœur même des cieux, figé dans une étoile. Ce fut un sommeil millénaire, empli de silence, jusqu’au jour où un morceau de son corps se détacha. Une miette d’os cosmique, plus dense que la volonté des dieux, fendit les étoiles et tomba lentement vers la Terre.

On l’appelle la Comète de Lysathe, du nom d’un oracle ancien qui fut la première à la voir chuter. Mais cette comète… elle ne brûle pas. Elle ne crame ni l’air ni la terre. Au contraire, elle flotte, effleurant le sol comme une pensée suspendue, une énigme lourde de présages.

Sa surface est d’argent lisse, comme polie par le vide entre les mondes. Et pourtant, elle est criblée de trous non pas des cratères, mais des cavités organiques, presque respirantes. De ces orifices s’échappent des lueurs vertes, pulsantes, comme les battements d’un cœur lent mais colossal. La lumière n’éclaire pas, elle rappelle.

Et ce qu’elle rappelle… ce sont les morts.

Car la comète n’est pas un simple rocher. Elle est un fragment de volonté. Un reste de l’âme du Titan, qui refusait encore de laisser ce monde sans défense. Lorsque la comète passe, ou même lorsqu’elle dort, quelque part, sur un champ ou dans une crypte oubliée, les morts s’éveillent. Pas comme des fantômes ou des revenants, mais bel et bien dans leur chair. Les âmes, peu importe où elles dérivaient, sont arrachées à l’au-delà et renvoyées dans leurs anciens corps, qu’ils soient frais ou pourris. _ A l,unique condition que l’âme n’ai pas trouvé la lumière de la cité d’argent…

Et le plus cruel ? Ils gardent leur conscience. Ils se rappellent de leur vie. De leur mort. De tout.
Ils savent qu’ils ne devraient pas être là. Mais la comète le veut. Ou plutôt… elle l’exige.

Les sages et les nécromanciens l’ont étudiée. Certains affirment que ce n’est pas un don, mais un test. Que le Titan, bien que brisé, vérifie encore si ce monde est digne d’être protégé. Que si ses fragments sont capables d’insuffler la vie à la mort, alors ceux qui vivent doivent prouver qu’ils la méritent.

Et si ce n’était que le début ?
Car il y aurait d’autres fragments. D’autres comètes, plus grandes, plus proches. Et si l’un d’eux tombait vraiment… entièrement… alors le monde ne serait pas seulement éveillé.

Il serait jugé.

Extrait du Grimoire d’Ismerith Maes — Échos des Os Silencieux, Chapitre IX : “Ce Qui Ne Doit Pas Être Brisé”


« Ce n’est pas un don du ciel. C’est un verrou vivant. Et si vous le cassez, vous condamnez le monde à ne plus jamais clore les yeux. »

Ainsi parle Ismerith Maes, sorcière errante du Bois de Cendre, ancienne gardienne des cercles d’âme, et témoin de la première réactivation spontanée de la comète de Lysathe. Contrairement aux mages qui la convoitent ou aux rois qui la craignent, Ismerith n’y voit ni miracle ni menace, mais un cœur battant qu’on n’a pas le droit de percer.


❖ Ne jamais briser la comète

La comète, selon Ismerith, est un vérou spectral, un point fixe dans les lois mouvantes de la vie et de la mort. Tant qu’elle est intacte, l’équilibre, bien que vacillant, peut être maintenu.

Mais si elle est brisée :

  • Les morts éveillés par son appel ne pourront plus mourir à nouveau. Ils resteront figés, ni vivants, ni morts, dans des corps parfois pourris, parfois douloureux, souvent délirants.
  • Les vivants mourants ne passeront plus dans l’au-delà. Ils stagneront, conscients, hurlant dans des corps inertes.
  • Les âmes, sans guide ni passage, hanteront la matière, errant sans fin entre les objets, les lieux, les songes. Le monde deviendra un brouillard d’esprits errants, sans fin, sans but.

Et surtout :

Il n’existe aucun moyen connu de réparer un fragment brisé du Titan.


❖ Méthodes de désactivation sans destruction (selon Ismerith Maes)

  1. L’Étirement du Chant-Vert
    Un rituel utilisant le sang de trois lignées mortes, chanté à l’envers à minuit devant la comète, peut faire entrer son cœur en torpeur pendant un cycle lunaire. Mais il faut que l’un des chanteurs soit lui-même déjà mort… récemment.
  2. L’Enveloppe du Sépulcre Serein
    Une cage d’os d’ancêtres liée avec du sel noir, conçue autour du noyau lumineux de la comète. Cela ne l’éteint pas, mais l’endort lentement, comme on ferme les yeux d’un mourant.
  3. L’Acceptation de la Reine Morte
    Un pacte oublié entre l’ordre des Veilleurs et la Reine Spectrale d’Outremonde – devenue roi fantômes. Si l’on offre un souvenir d’oubli complet (comme l’existence d’un être jamais né), la comète peut être rappelée dans l’abîme. Cette méthode est extrêmement dangereuse et instable.

❖ Derniers mots d’Ismerith

« Si vous brisez la comète, vous arrachez la dernière page du livre des morts. Et ensuite ? Vous resterez là, à regarder les vivants pourrir sans partir, et les morts souffrir sans dormir. Ce sera le silence. Mais un silence qui hurle. »

La comète n’est pas faite pour être dominée. Elle est faite pour être respectée, craignée, et parfois, avec une prudence tremblante… endormie.

Le Collier d’Onophrius

Lieu de découverte : Cela dépend d’où l’on se trouve dans l’histoire du monde…
Âge estimé : Incalculable – atemporel
Catégorie : Objet occulte – artefact hors du temps

« Ce qui n’a ni commencement ni fin ne se transmet pas… il se manifeste. »

Le Collier d’Onophrius défie toute tentative d’ancrage historique. Non pas en raison d’un manque de sources, mais parce qu’il serait, selon certains témoignages, né dans un vide où le temps lui-même n’existe pas. Dans ce néant intemporel, l’acte même de « fabriquer » n’a plus de sens : il n’y a pas de succession d’événements, pas de commencement, pas d’achèvement. Le collier n’a pas été forgé, il est.

Sa présence dans notre monde résulte donc non d’un transport, mais d’une manifestation : un surgissement dans la réalité temporelle d’un artefact atemporel. Lorsqu’il est remis à une famille, ce n’est pas un passage dans le temps, mais un point de contact entre deux règnes : celui, linéaire, des hommes, et celui, absolu, du vide originel.

Le paradoxe de ses apparitions s’explique par cette nature : la version « future » et la version « passée » du collier sont en fait le même objet, perçu à deux moments distincts par des êtres temporels. Ainsi, l’individu du futur qui le « rapporte dans le passé » n’a fait qu’interagir à son tour avec une entité qui transcende toute causalité. Le « passé » de la famille n’est que le moment où leur chronologie a touché l’objet. Le collier, lui, n’a jamais bougé.

Cette réalité est déroutante. Elle confond notre perception linéaire du temps, efface la frontière entre cause et effet, et oblige l’esprit à envisager l’inconcevable : qu’un artefact puisse être antérieur au temps lui-même.

Mais cet objet n’est pas passif. Il semble animé d’un mécanisme ancien de purification, non pas moral, mais alchimique et intime. En entrant en résonance avec son porteur, le collier tente lentement de le purifier, d’en dissoudre les impuretés de l’âme ou de l’esprit — au risque de se corrompre lui-même. Ce processus n’est pas une faute, mais un aspect fondamental de son existence : une nature ni lumineuse ni ténébreuse, mais fusionnelle avec l’époque et l’être qu’il touche. Le Collier d’Onophrius n’a pas d’alignement : il s’ajuste, il absorbe, il équilibre, même si cela implique sa propre dégradation.

J’ai voulu te guérir… et c’est ta blessure qui m’a fait roi.

Le Mythe des Nyks des bois

Au cœur des forêts boréales du Canada, bien avant les chemins de fer et les voix humaines, vivaient de discrètes créatures que peu de gens ont réellement vues : les Nyk des bois.

Ces êtres miniatures, hauts comme une pomme de pin, sont faits d’un mélange de feuilles sèches, de mousse vivante et d’une chair douce et tiède comme le ventre d’un petit animal. Leurs yeux, toujours bruns, grands et humides, rappellent ceux d’un faon surpris sous la pluie. Ce regard, disent les anciens, peut faire taire la peur chez l’enfant et éveiller la honte chez celui qui maltraite la terre.

On raconte que les Nyk naissent là où la forêt est la plus intacte. Chaque printemps, lorsque le gel cède enfin et que les érables pleurent doucement dans les seaux d’étain, une brume particulière descend entre les arbres. Si elle touche une pierre ronde entourée de feuilles mortes intactes, un œuf de Nyk, minuscule et translucide, éclot en silence. Le Nyk ne pleure pas, ne crie pas, mais s’étire lentement vers la lumière, prêt à surveiller le territoire qui l’a vu naître.

Les Nyk n’ont ni maison fixe ni clan. Ils vivent dans les creux des racines, dans le duvet des nids oubliés, sous les champignons larges comme des parapluies. On peut les voir parfois glisser entre les fougères à la tombée du jour, ou perchés sur le dos d’un cerf, les bras tendus au vent.

Mais les Nyk ne sont pas des esprits neutres : ils choisissent. Ils aident ceux qui aiment sincèrement la nature — pas seulement ceux qui la visitent, mais ceux qui lui parlent, qui la soignent, qui la défendent. Le trappeur qui remercie la forêt avant chaque prise, le promeneur qui ramasse le plastique d’un autre, ou l’enfant qui arrose une souche comme on arrose une tombe : ceux-là peuvent un jour voir un Nyk.

Lorsqu’un humain est égaré dans la forêt mais que son cœur est calme, un Nyk peut venir. Il grimpe sur son épaule, souffle un vent chaud à son oreille, et d’un geste de ses bras feuillus, il indique la bonne direction. D’autres fois, il laisse des traces étranges sur le sol — des empreintes de feuilles en forme de cœur, ou des champignons disposés en cercle — pour guider celui ou celle qui saura les lire.

Les bûcherons irrespectueux, les chasseurs cruels, ceux qui se croient seuls dans la forêt, eux, les Nyk les ignorent. Mais certains racontent que, lorsqu’ils se montrent vraiment destructeurs, les Nyk se retirent, et les arbres eux-mêmes deviennent hostiles. Le silence devient lourd. Les chemins, instables. Des racines apparaissent là où il n’y en avait pas, et des cris d’animaux morts résonnent sans source.

Une vieille légende algonquine parle d’un garçon muet qui sauva un Nyk prisonnier d’un piège à collets. En retour, il reçut le don de comprendre la voix des corneilles, messagères de la forêt. D’autres parlent d’un Nyk qui pleura sur une bûche carbonisée, et de cette larme naquit un érable d’or, aux feuilles jamais tombées.

Aujourd’hui encore, certains forestiers du nord déposent une noix ou un bout de tissu sous les grands pins avant de partir. Ce sont des offrandes silencieuses pour les Nyk — au cas où. Car on ne sait jamais quand la forêt décidera de répondre.