Rapport de synthèse – Sujet 44C : Mira

Clinicienne responsable : Gloria Álvarez
Date : [Confidentiel]
Établissement : Institut de Moltenrivers – aile Est, salle d’observation B4

Observation générale :
Le sujet est une adolescente fine et droite, posture impeccable, regard soutenu mais émotionnellement lisse. Sa diction est claire, parfois élégante, presque théâtrale. Elle ne semble pas chercher à dissimuler ce qu’elle est, mais plutôt à redéfinir constamment le cadre de ce qu’on lui demande. Aucun signe de panique ni de nervosité corporelle, sauf un éclat de rire déplacé à la troisième question.

Elle semble contrôler le récit plutôt que le subir, et il est probable qu’elle ait déjà anticipé l’essentiel des questions avant de s’asseoir. L’ensemble du discours dénote une maîtrise défensive des affects, où le langage sert de filtre narratif.


Profil psychique provisoire :
Mira présente des signes de dissociation émotionnelle avancée, mais sans rupture logique : ses réponses suivent une trame maîtrisée, rationnelle, parfois trop rationnelle. Le déni direct des faits violents (cf. ingestion du demi-frère) est immédiatement suivi de formulations neutres ou positives liées à la cuisine, ce qui suggère un cloisonnement psychique actif, probablement construit très tôt.

Il faut noter l’emploi du pronom “nous” dans la réponse à la question 5 (« aucune créature ne nous a félicité »). Ce glissement grammatical témoigne d’une conscience fractionnée, possiblement bipartite, avec une cohabitation partielle ou totale d’une autre instance psychique. La négation du prénom du frère, ajoutée à une réaction physiologique modérée à l’odeur du rôti, renforce l’idée d’un événement cannibale réprimé mais non effacé.

La question 9, volontairement floue, visait à provoquer une réponse symbolique : Mira contourne cette attente en répondant par l’usage pratique de ses mains (le piano), ce qui est typique d’un mécanisme de défense par la compétence. Cela peut évoquer une stratégie de reconquête de maîtrise après un traumatisme corporel.


Analyse par item :

  • Q1–Q3 : Négation floue, déni verbal accompagné d’un rire nerveux → refoulement actif ou événement disloqué de la mémoire.
  • Q4–Q6 : Recentrage immédiat sur la cuisine comme expression artistique → sublimation du geste violent par l’esthétique. L’idée d’être regardée pendant l’acte culinaire semble centrale.
  • Q7–Q8 : Aucune image du frère n’est revendiquée, mais une réaction physiologique demeure face à l’odeur de la viande : preuve d’un résidu mnésique non conscientisé.
  • Q9–Q10 : Le rapport au corps est instrumentalisé mais pas dissocié. La main n’est pas perçue comme étrangère, mais comme outil de contrôle social (musique). L’absence d’intérêt pour le couteau est notable : soit réelle pacification, soit déplacement du danger vers d’autres outils ou gestes.

Diagnostic préliminaire (non communiqué au patient) :

  • Trouble de stress post-traumatique dissociatif avec amnésie partielle
  • Comportement obsessionnel ritualisé autour de la cuisine (sublimation et contrôle)
  • Présence possible d’une personnalité secondaire cohabitante (forme atténuée de TDI)

Note finale de Gloria Álvarez :

« Mira ne ment pas. Elle reformule le monde. Elle n’a pas tué un frère : elle a transformé une mémoire indicible en un plat élégant. Là où Ephraim cherche un royaume souterrain, Mira construit un théâtre au-dessus du vide. Elle ne mange pas la chair : elle mange l’idée. Et surtout, elle veille à ce que ce soit bien présenté. »

Rapport de synthèse – Sujet 44B : Ephraim

Clinicienne responsable : Gloria Álvarez
Date : [Confidentiel]
Établissement : Institut de Moltenrivers – aile Est, salle d’observation C7

Observation générale :
Le sujet est un adolescent de type caucasien (âge estimé : entre 14 et 17 ans), maigre, posture semi-détendue mais instable, regard fuyant. Il alterne entre des réponses lapidaires et des affirmations cryptiques. Aucune agressivité physique détectée lors de la séance, mais un refus net de fixer les objets familiers (lampe, table, carnet). Note : pupilles dilatées malgré l’absence de lumière forte. Une légère odeur de suie persistait sur ses vêtements.


Profil psychique provisoire :
Le patient exprime une fixation obsessionnelle autour du thème du feu, de la mort et d’un royaume imaginaire (ou symbolique) nommé “Royaume des Cendres”. Il ne semble pas comprendre ce concept comme une métaphore, mais comme une localisation réelle à atteindre, via des moyens non définis (cheminée, souterrain, transformation physique).

Il est important de noter que l’entrée dans ce « royaume » est associée non pas à la mort, mais à une forme de transformation minérale (“statue de pierre”), ce qui dénote une rupture perceptive entre le corps et la conscience. Cette dissociation avancée pourrait s’apparenter à une forme rare de syndrome de Cotard inversé, où l’individu ne se croit pas mort, mais figé dans une attente post-mortem.

Le langage codé utilisé dans sa troisième réponse (phrases en une langue non identifiée) pourrait relever :

  • soit d’un système de pensée délirant structuré (type schizophrénie de type paranoïde ou mystique),
  • soit d’une influence externe (autre patient, texte culte, hallucination auditive scriptée). Il affirme que Mira connaît la traduction, ce qui suppose un partage de contenu délirant : possible folie à deux.

Analyse par item :

  • Q1 & Q2 : Suggestion d’une quête initiatique liée à une culpabilité obscure (« enlever les plumes » pourrait indiquer une volonté de purifier ou d’extirper une souillure).
  • Q3 : Le “parchemin tombé” montre une altération du principe de réalité : objets perçus comme porteurs d’intention.
  • Q4 : Le rejet du soleil comme image du feu renvoie à une dissociation symbolique de la chaleur nourricière : pour lui, le feu n’éclaire pas, il consume.
  • Q5 : Absence de rêve autoproclamée ; mais il verbalise un désir d’annihilation passive.
  • Q6–Q7 : Le patient déplace les accusations (“je n’ai rien fait”), mais reste dans le thème du sacré géométrique (spirales, étoiles) et de la mort empêchée.
  • Q8 : Confusion entre les lieux (conduit/égouts), mais constante présence de passages, liquides, enfouissements.
  • Q9 : Mentions d’autres “princes”, émergence d’un univers hiérarchisé non partagé par l’observatrice. Possiblement auto-référentiel ou issu d’un mythe collectif.
  • Q10 : Présence répétée d’Iveros dans son discours : soit un alter ego, soit une personnalité tierce parasitaire. À évaluer.

Diagnostic préliminaire (non communiqué au patient) :

  • Trouble dissociatif de l’identité (à confirmer)
  • Dépersonnalisation chronique avec mythification du réel
  • Risques : isolement, fugue symbolique, passages à l’acte dans un contexte de quête fictive

Note finale de Gloria Álvarez :

« Ce garçon est en train de construire une religion. Il se place au seuil d’un monde qu’il a conçu comme réceptacle de sa propre douleur. Les symboles le guident parce qu’ils sont les seuls à ne pas le trahir. Il ne rêve pas : il prépare. Il ne délire pas : il forge un royaume à son image. Le feu ne le consume pas parce qu’il l’a déjà consommé. »